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Le frisson philosophique du Barnum: Nicolas Sarkozy existe-t-il?

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sanderPendant que la presse « hexagonale » (quelle jouissance d’utiliser l’une des quinze métaphores connues du monde journalistique!) aggrave ses aphtes à force de lécher le sol sous les pas de Notre Président, la presse internationale s’attache à mériter son salaire et mène tant bien que mal son boulot d’analyse. Perplexe, elle observe l’homme au kärcher, en se demandant quel phénomène de foire la population Française a bien pu choisir de mettre à sa tête.

Est-ce la distance, l’absence de soumission aux intérêts français ou, tout simplement, la jouissance de voir Nicolas Sarkozy offrir l’occasion de médire d’un pays qui agace ? Toujours est-il que cette presse nous apporte régulièrement un peu d’air frais en nous offrant des papiers, souvent très violents, qui nous permettent de prendre conscience du dépérissement qui, concentration et liens incestueux avec le pouvoir économique et politique aidant, affecte chaque jour davantage les médias du pays.

Au hasard d’un vol international et d’un Herald Tribune attrapé en passant pour tromper le jet-lag, un article, passé visiblement inaperçu des médias français, m’a plongé dans une perplexité proprement philosophique. Signé Steven Erlanger, intitulé  » French leader works to develop cultured persona » et doté du sous -itre grinçant « The president’s wife tries to reduce the ‘bling’ and expose him to literature », l’article daté du 27 juillet 2009, et situé en page 3, analysait la manière dont Notre Président, une fois encore, tentait de transformer son image. L’enjeu serait désormais de paraître « cultivé »:

Now, in the best sign yet that he intends to run for a second term as president in 2012, he is refashioning himself yet again – this time as an intellectual.

Way to go, comme on dit…  Mais l’article n’y va pas de main morte, et appuie là où la plaie est la plus béante:

He seemed to have disdain for elite culture. He liked wealthy friends, crude comedians like Jean-Marie Bigard and singers like Michel Sardou. He called himself a  »total fan » of Sylvester Stallone and  »Les Bronzés, » a French comedy set at Club Med, with lots of sexual innuendo. He was flashy, known as President Bling Bling. He was widely regarded as  »plouc » – a term embracing both provincial ignorance and flashy new wealth, describing someone who does not understand the social codes.

On nous détaille alors les grandes manœuvres orchestrées par Dadame Carla en vue de nous faire avaler la métamorphose culturelle de l’Homme à la Rolex:

Mr. Sarkozy, under the tutelage of his wife, is reading a wider variety of authors and watching different films, many of them based on literary classics he may or may not have read.

Admirez l’impertinence, un journaliste du Monde en ferait sous lui de trouille… Et de finir sur l’épisode déjà connu de l’admiration pour Jean-Paul Sartre:

When talking about his project for Grand Paris, the plan to transform the capital, Mr. Sarkozy suddenly cited Céline. And he dragged out a copy of Jean-Paul Sartre’s autobiography with passages underlined, including,  »Progress, this long arduous path that leads to me. » He read the passage to several journalists, [...] and he commented:  »Someone who is capable of writing that. … It’s impressive, no? »

Mais avec méchanceté, quand même:

It was not clear that the president caught the irony in Sartre.

Bref. Mon but n’était pas de faire l’éloge en règle du Herald, ni même de traiter du rapport sarkozyste à la « culture » (voyez à ce sujet le petit compendium fourni par Louvre pour tous): revenons au contexte, au jet-lag et au reste. Car un fois lu l’article, et malgré le dérèglement de mon horloge interne, quelques souvenirs ont commencé à affleurer, et l’incertitude à poindre.

Rappelez-vous:

- Dès janvier 2007, avant même d’être élu, il changeait déjà, comme nous l’avions remarqué ici :

J’ai changé. J’ai changé parce qu’à l’instant même où vous m’avez désigné j’ai cessé d’être l’homme d’un seul parti, fût-il le premier de France. J’ai changé parce que l’élection présidentielle est une épreuve de vérité à laquelle nul ne peut se soustraire. [...] J’ai changé parce que les épreuves de la vie m’ont changé. Je veux le dire avec pudeur (sans blague !?) mais je veux le dire [...]. J’ai connu l’échec, et j’ai dû le surmonter. [...] J’ai changé parce que le pouvoir m’a changé.

- En mars 2008, alors qu’il dévissait sévèrement dans les sondages, Nicolas Sarkozy avait  effectué une mue. Il pleurnichait donc dans les colonnes du Figaro, le 6 mars, en expliquant qu’il avait changé, qu’il changeait et qu’il changerait encore et encore…

- Le 24 avril suivant, il nous gratifiait d’ailleurs de l‘une des interviews les plus grotesques que la France ait jamais subie, en nous expliquant, des tremolos dans la voie, qu’il avait « changé »: fini l’ancien-Sarkoy! Dadame Carla a tout changé! La mère Michu en avait pleuré devant le poste et fini son cassoulet surgelé en chantant la Marseillaise.

- En août 2008, nouveau changement : le président se fait régalien, et abandonne le people et les petits rires cristallins à Dadame Carla. mettant en place un mode de gouvernement nouveau analysé ici-même sous le nom de carlabrunisme.

- Puis, à l’automne dernier, nouveau changement: le libéral Sarkozy devenait un fan de la régulation financière. Et l’on tombait des nues face à ce retournement incroyable qui fit battre des mains un pays apeuré, qui serrait déjà les fesses en voyant fondre son pécule…

L’autorégulation pour régler tous les problèmes, c’est fini. Le laissez-faire, c’est fini. Le marché qui a toujours raison, c’est fini.

Et aujourd’hui, donc, la beaufitude, ce serait fini, le mépris pour les choses de l’esprit, ce serait fini, l’appel à cracher sur la littérature, l’histoire, la philosophie, la sociologie, soit tout ce qui n’est pas achat, vente et accumulation du capital, ce serait fini.

J’écrasais une larme: que voulez-vous, le manque de sommeil… Puis mon premier réflexe fut  de penser que le cocufiage mental continuait: un changement de plus, nouvelle poudre aux yeux, nouvelle couche de l’artichaut sarkozyen dont je pensais pourtant que le foin était déjà entamé.

Et soudain, un doute. Un doute immense qui croît de manière incontrôlable : et si Sarkozy n’existait pas? Si, derrière ce changement, cette succession infinie d’accidents dont nous n’avons plus qu’à attendre le prochain avatar, il n’y avait pas d’essence,  pas de substance, absolument rien de stable?

Car peut-être faut-il prendre au mot les affirmations des sondeurs et des Umpistes selon lesquelles Sarkozy incarnerait « le changement »:

Sondage de janvier 2007 : « Six français sur dix pensent que Nicolas Sarkozy incarne le changement. » (BVA-Orange)

Février 2008, Guéant affirme que Sarkozy est « celui qui incarne le changement »

Octobre 2008, Rama Yade trouve qu’il « incarne le changement ».

Mon Dieu! Cet homme – tous ses thuriféraires nous l’ont pourtant répété et nous, hommes et femmes de peu de foi, nous leur avons ri au nez – cet homme est le changement! Le changement s’est fait chair en lui et par lui! Nicolas Sarkozy, Messie du Mouvement pour le Mouvement, incarne bien une essence nouvelle faite uniquement de renversements. Il est l’homme postmoderne qu’aucune gravité ne ligote, qu’aucune pesanteur ne paralyse, que rien, absolument rien, n’empêche de se métamorphoser au gré du sens du vent ou des fluctuations du cours de la bourse.

Libéral et régulateur; haïssant la littérature et ne vivant que pour elle; aimant la France qui souffre et lâchant des millions aux plus riches; tapageur et modéré; dur et mou; froid et chaud; jogger et cardiaque; grand et petit; inculte et féru d’histoire; amoureux de l’Amérique mais infichu de parler un Anglais correct; chef de la politique internationale mais incapable de sortir des clichés les plus gras à propos de l’Afrique… Je mets quiconque au défi d’établir une ontologie du sarkozysme! Sarkozy est un oxymore vivant!

Alors bien sûr, certains me diront: « Pourquoi en faire tout un plat, il se contredit, voilà tout. Moi j’appelle ça un démagogue! »

Mais dans la brume du jet-lag et des ronflements de la grosse femme manifestement adoratrice de Carlita dont le corps baleinier était avachi dans le fauteuil voisin, moi, j’avais plutôt tendance à appeler ça un néant…


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